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Hubert de Chevigny nous a quittés

Article tiré d'ULM Info n°58 

 

Des racines et des ailes

Le ciel nous était interdit, mais plus pour longtemps, l’apparition des premières iles delta permettait tous les espoirs. La longue ascension sous le cagnard, rythmée par le cliquetis du harnais et le cœur qui bat la chamade.

 

A l’école du vol sauvage

L’épaule martyrisée par le fagot de l’aile qui chasse dans les virages et girouette dans le vent. Les longues attentes au sommet dans la bonne humeur. L’observation attentive des prémices aérologiques. La course effrénée du décollage dans un silence religieux, le plongeon vers la vallée, la ressource puis l’explosion des sens. Loin de tout, inondés de bonheur, nous étions des hommes libres, nous avions la maîtrise du ciel. Et nous n’avions de comptes à rendre à personne.

Lorsque nous avons commencé à équiper nos ailes de 6000 tours crachotants et ainsi à nous affranchir des montagnes, l’ULM était né. Cachés dans l’arrière-pays, nos décollages sauvages toujours différents, nos vols presque toujours interrompus précipitamment, nous enchantaient. Nous cultivions l’art d’une aviation tout-terrain, très engagée, très responsable. Un bonheur, une liberté que nous ne devions à personne. Nos machines ne sortaient pas de bureaux d’étude subventionnés, elles avaient été empiriquement imaginées par des assoiffés de vol. Mais l’évolution technologique nous rapprochait des gros. Un jour, il faudra composer. En attendant, pour nous voler notre indépendance, c’était déjà trop tard.

 

Hubert de chevigny 4

 

La FFPLUM, patrie des droits de l’Homme

L’hiver dernier, aux Etats Généraux de l’Aviation à l’Aéroclub de France, j’écoutais nos responsables faire l’état des lieux de ’aviation sportive et de son devenir plutôt morose. Dans la grisaille ambiante, l’ULM faisait figure de rayon de soleil : une population en pleine expansion, des accidents en régression, et une industrie exportatrice. Mieux, pour tenter de sauver des terrains aujourd’hui, on les ouvre aux ULM. Comment le vilain petit canard en est arrivé là ? Un constat unanime : ce succès, l’ULM le doit à une liberté bien comprise, celle qui responsabilise le pilote, qui responsabilise le constructeur, qui respecte l’homme dans une société où on multiplie les garde-fous infantilisants. C’était la grand-messe où on enterrait la sacro-sainte certification et la culpabilisation répétée du pilote. La FFPLUM faisait figure de patrie des droits de l’homme.

 

La France a eu De Gaulle, l’ULM a eu Dreyer

J’ai fermé les yeux et me suis coulé dans mon fauteuil. Transporté il y a 25 ans, nous étions autour d’une table face à l’Administration, convoqués pour se faire expliquer le mode d’emploi. Mais celui qui menait la danse avec son visage émacié et énergique, c’était Alain Dreyer. Il avait la légitimité de la horde de parias de l’air qui l’avait élu premier Président de la FFPLUM. Avant d’entrer dans la salle, il m’avait dit - « Hubert, je les connais, il va falloir lutter pour garder notre liberté. Notre stratégie : ne pas permettre de dissocier le multiaxe du pendulaire. Ce dernier les déroute, c’est notre seule arme» - et à chaque fois qu’un fonctionnaire tentait d’aliéner l’ULM en nous parlant certification, qualification, espace contrôlé, Alain Dreyer très conciliant lui répondait, transversale flottante, cordes de rappel et en écartant les coudes pilotait un trapèze virtuel pour expliquer comment se poser prudemment dans un champ inconnu. De quoi anéantir nos interlocuteurs tri-axés, macadamisés et certifiés qui n’avaient plus comme issue que de nous tailler sur mesure un  régime déclaratif et nous laisser nous occuper de la formation à notre façon. Le ton était donné, la solidarité pendulaire trois-axes avait fonctionné, plus rien ne pourrait entraver la grande aventure de l’ULM édifiée sur cette culture de la liberté responsable. La France a eu De Gaulle, l’ULM a eu Dreyer.

 

Un ciel sans limite

Nous avons pu nous exprimer pleinement, avec parfois un peu d’arrogance et de provocation. La création, par Patrick Poulet, de l’ENAC, l’Ecole Nationale d’Aviation Champêtre, sous les cou-leurs d’une tête de vache avec une marguerite dans la bouche, nous a valu beaucoup de courrier de pilotes de ligne indignés. Encore plus de courrier des mêmes lorsque j’avais déclaré qu’en passager de nos lignes aériennes, je préférais savoir qu’il y avait dans le cockpit un ancien pilote de brousse, rompu à toutes les situations, plutôt qu’un brillant élève sorti major d’une de nos prestigieuses « prépas ». En matière de tout-terrain, nous avions nos convictions.

On donnait des leçons, mais on en recevait aussi. En 1980 à Brienne le Château, la grand-messe annuelle du RSA, j’avais discrètement posé mon Vector à la tombée de la nuit au bout de la piste de 3000 m, à l’opposé du grand hangar illuminé qui grouillait de vrais pilotes. Hubert Ferté, le grand ordonnateur à qui rien n’échappait, est arrivé sur les chapeaux de roue et m’a malicieusement convoqué sur le champ, avec ma machine, sous les projecteurs. Ce qu’il avait pressenti, lui l’infatigable pionnier éternellement enthousiaste, c’était ce vent de liberté que représentait l’ULM, dont il deviendra un grand serviteur.

 

Hubert de chevigny 3

 

L’ULM en Arctique

L’ULM était alors la seule façon de voler hors aérodrome. En vol tout-terrain, nous étions à la fois notre mécano, notre chef pilote, notre instructeur, notre contrôleur et notre météorologue. Notre aviation en culotte courte était une vraie école, très complète.

J’ai très vite compris l’usage que j’allais faire de ce merveilleux outil d’exploration. En 1982, après avoir entré mon « tube et toile » discrètement au Canada à la faveur du désordre d’une grève de transporteurs, j’ai pu rejoindre le Pôle Nord magnétique en vol, seul et en pirate, dans un dénuement qui m’étonne encore. Quelques dépôts d’essence grâce à un bateau que je guidais à travers les glaces, une carabine pour les ours, quelques biscuits de mer dans la poche et la volonté farouche de mener ma monture au travers des pièges de l’Arctique. Un vrai bol d’oxygène.

 

Hubert de chevigny 1

 

Du coup en 1986, je tente le vrai Pôle Nord, celui qui exige le survol de plusieurs milliers de km de banquise avec une température moyenne de -30°. Officiellement cette fois. Mon talentueux compagnon à qui j’ai appris à voler un an plus tôt est un jeune journaliste de France Inter, Nicolas Hulot. Nous essuyons tempêtes sur tempêtes, la progression est lente et un rabattant finit par avoir raison de sa machine. Je continue seul avec un minimum de survie dans une chevauchée sans témoin  où je puise dans toutes mes ressources pour repousser les limites du raisonnable. Je pense qu’il n’y a qu’un laps de temps très court dans la vie d’un homme où l’expérience déjà acquise, conjuguée à la prise de risque encore permise, vous propulse à des summums de performance. Ce qui ne m’empêchera pas d’échouer et d’abandonner à mon tour…

L’année suivante nous réussirons le Pôle ensemble avec un retentissement médiatique qui, s’il arrive à bon escient pour l’image de l’ULM, permettra à Nicolas de passer de la radio à la télévision et moi de l’ULM à la série des Explorer. Ultimes machines de l’exploration, nées d’une imagination bouillonnante, au fond d’un duvet, dans une tente glaciale lorsque j’étais cloué sur la banquise par le blizzard. Pour ma part, si je n’avais pas été à l‘école de cette créative époque pionnière de l’ULM, jamais je n’aurais eu le culot, par la suite, de mener à bien mes projets Explorer et autres Private-Explorer. C’est sans doute pour cela que Tisserant avait alors titré le plus gros ULM du monde. C’était dans l’esprit.

Quand on a des ailes, il est bon parfois de puiser dans ses racines pour mieux se projeter dans l’avenir.

 

Hubert de Chevigny

Vice-Président de la FFPLUM dans ses débuts

 

 

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